6 avril 2021
Port de Funchal

Archipel de Madère. Portugal
7h, jour du départ. Ma banette dans le Kraken.

À moitié réveillée depuis 4h du matin, j’écoute les bruits du bateau.
La génératrice ne tourne pas cette nuit, c’est très silencieux, hormis mes colocs qui font leur ronde de sécurité. J’ai le sommeil léger et chaque bruit ou craquement maintient mes sens éveillés.

C’est aujourd’hui que je quitte le Kraken de Wings of the Ocean pour me diriger vers la suite de l’aventure. Je reste immobile encore quelques minutes à observer le lit dans lequel je suis et le mémoriser.

Pas possible de se laver le visage ou les dents ce matin, pas de circuit d’eau avant le réveil de l’équipe méca.
Je croise Meryl (un de nos mécaniciens) sur le middle deck, sorti fumer une clope très matinale et nous dire au revoir. Il rallume la géné et l’eau, qu’on puisse au moins se faire un café avant de partir.

8h, dans le taxi pour l’aéroport.

Julie (directrice générale de l’asso) et Florian (chef mécanicien du Kraken) sont avec moi, ils rentrent en France en même temps, mais pour de courtes vacances.

Sur les viaducs de Funchal, nous entrevoyons le voilier depuis nos sièges. Les trois mâts du Kraken disparaissent une dernière fois derrière une des montagnes de Madère.

C’est ma maison depuis novembre dernier.
Mon cœur se serre un peu.

Floriane est venue nous faire un câlin dans le mess avant d’aller se recoucher. On a réveillé Léo, notre capitaine depuis un mois, pour qu’il appelle notre agent maritime, pour les formalités de sécurité avant de quitter Madère. Il a eu son câlin furtif lui aussi.

9h54. L’avion décolle.

Quelques secondes de panique en réalisant qu’on est dans le ciel, suspendus.
Et puis le soleil entre par le hublot.

J’ai quitté le Kraken.

Je vous raconte ?

amares bleues

3 août 2020

Savone, Italie

Mon CDD de chargée de com’ dans une école privée est fini depuis 2 jours à peine et je pose le pied à Savone en Italie, après une journée de train, de correspondance annulée et de covoiturage inopiné.
J’ai postulé en tant que cook pour l’équipage du Kraken et suis engagée pour tout le mois d’août, laissant mon copain Lucien (avec qui je suis depuis 4 ans), l’appart et les chats pour une trentaine de jours.

Le voilier était alors hors de l’eau, inhabitable puisqu’en travaux.

Les bénévoles étaient répartis dans 2 à 3 maisons de location autour du chantier naval. Il fallait cuisiner pour 12 à 30 personnes selon les arrivées.

Sac dessin

L’aventure commence.

Julien, le fondateur de l’asso, vient me chercher à la gare et me claque deux bises sonores.
Covid Time, j’avais pas fait une bise depuis 6 mois !

Rapport au covid, on est tous testés négatifs avant d’arriver, vu qu’on vit tous les uns sur les autres en colocation.

Julien W. notre prez'
 Julien dans ses plus beaux atours, avant le nouvel an 2021, fêté tous ensemble. Déso, pas déso.
carteSavone

On file visiter le Kraken qui est posé sur le chantier naval.

Le navire est comme éventré, tout est à faire, les cabines sont à nu, il y a des outils partout et des pièces mécaniques dans tous les sens. C’est imposant.

Il est 18h passées et on file à la maison de Savone, une dizaine de personnes sont là et je tombe de suite sur Fred, le second, qui me demande si j’aime les olives avec un petit regard par en dessous.

Les bénévoles se bidonnent, il paraît qu’il fait le coup à chaque fois ! 😀
Je suis entrée dans une bulle dont je ne ressortirai pas de sitôt.

Petit déjeuner d'Alix

Il n’est pas prévu que je reste après août, mais le manque de volontaires – pour ce poste spécifique en cuisine – en décide autrement.

Je me sens bien avec la petite équipe et je ne peux pas laisser l’équipage sans cookies !

Un petit aperçu de ce qu’on a mangé, au cas où l’alimentation végane vous inquiète encore 😉

Début août, j’ai travaillé dans la cuisine de la maison de Savone, à 15 minutes en voiture du chantier.

C’était toute une organisation pour déposer mes collègues en voiture le matin au dry dock, pouvoir aller faire les courses si besoin, cuisiner, apporter les plats et manger au chantier à midi, puis retourner cuisiner et répartir les plats pour 17h30 dans les 2 autres différentes maisons en retournant chercher les bénévoles qui habitent avec moi.

Le Kraken
Le Kraken
Briefing de chantier
Briefing de chantier

Je garde un beau souvenir de cette maison calme, avec mes premiers colocs. Nos logeurs de Savone étaient adorables et prévenants et nous sommes repartis quelques mois plus tard avec une pleine cagette de kiwis de leur jardin.

21 août 2020

J’emménage dans la maison de Mioglia. Ambiance différente mais toujours la même cohésion de groupe.

Préparation avec les courges de chez Florian
Cuisine avec les courges de chez Florian

L’organisation est différente aussi : je cuisine la veille pour le lendemain, avec un frigo trop petit pour stocker, pas de chambre froide fonctionnelle sur le Kraken quand les plats arrivent au chantier (si les colocs n’en oublient pas une partie) et rien pour réchauffer.
Je fais avec, on mange pas mal de salades de pâtes…

Préparation des patates au barbecue
Préparation des patates au barbecue

Les journées passent vite, les bénévoles avancent bien sur le chantier et j’essaie de profiter des soirées pour apprendre à les connaître, passant toute la journée en cuisine.

Le soir, nous restons à la maison ou alors débarquons tous à la rivière (un point d’eau un peu plus loin, avec un barrage et une échelle à poissons) dans laquelle nous mettons les bières les jus de fruits et nos fesses à tremper.

Nœud de cabestan

Moments lumineux à Mioglia à regarder des films tous ensemble, à échanger autour d’un apéro, à regarder les colocs plonger des rochers de la rivière, à paresser au soleil, à lire lovée dans un fauteuil de la terrasse, à regarder le soleil se lever ou se coucher, à apprendre à faire des nœuds marins ensemble…

Moments difficiles quand la fatigue nous gagne, quand il faut s’adapter sans arrêt, quand une tuile de plus nous tombe dessus et plombe le moral de tous.

Mi-septembre : je quitte Lucien, après 4 ans de relation dysfonctionnelle. On doit s’organiser pour les chats, l’appartement… Je déménage mes cartons en novembre, direction un garde-meuble, avant de repartir en Italie avec Wings. C’est un petit enfer de désorganisation et de déni de la part de Lucien, qui m’empêche de dormir correctement (jusqu’aux premiers jours de janvier où l’appartement est enfin rendu au proprio).
3 mois et demi en carence de sommeil…

Moi sur le chantier
Une des rares journées de "congé" passée au chantier, grâce à Morgane qui me remplaçait parfois pour 2 jours en cuisine.

Nous allons rester jusqu’à début novembre dans les maisons louées par l’association, jusqu’à la réhabilitation des cabines du voilier et notre emménagement dedans, une semaine avant la mise à l’eau...

On est tous heureux d’emménager, la cuisine est toute propre et j’ai hâte d’y bosser enfin !

6 novembre 2020
Soleil sur le chantier

Balou (coucou mon p’tit chaton carnivore !), un de nos mécaniciens, fait tranquillement des haltères avec des poutres qui sont posées là. D’autres jouent au Ninja, on grignote de la pizza.

Le Kraken est remis à l’eau aujourd’hui. Nous avions tous hâte de voir ça, après un chantier dont personne ne voyait le bout.

Une journée d’attente à se lever tôt, voir la grue arriver et finalement se mouvoir, avec le bateau sanglé et prêt à être descendu.

Enfin, en fin d’après-midi, le safran est immergé dans l’eau, l’hélice disparaît et le Kraken paraît tout petit dans la darse du chantier naval.

11 novembre 2020

Départ pour le port de Sète, la chambre froide bourrée à craquer, au cas où on manque de nourriture pendant les… trois jours de navigation !

J’ai demandé conseil au copain Eliott, chef chez Sea Shepherd pour l’approvisionnement avant le départ.
Bise à toi mec, infiniment merci :-*

Seb, le capitaine, a insisté pour qu’on prenne plein de bananes (ça a le même goût en entrant et en sortant, en cas de mal de mer) et on en a donc un bon stock !

Première fois en mer pour moi, sur la Méditerranée en plus, réputée difficile et changeante. Tout va bien 🙂

Quelques jours de mer au programme : moments intenses, nous avions hâte de quitter l’Italie et surtout le chantier. Commencé en juin, il s’était trop prolongé et entamait le moral de chacun devant l’ampleur des tâches à accomplir pour que le bateau soit parfaitement optimisé.

Les équipages ont été organisés en quarts et nous voilà partis !

Les quarts

Un bref point sur l’organisation en mer, pour ceux qui n’y connaissent rien.

L’équipage est divisé en quart (ou équipe, si vous préférez, avec un.e chef.fe de quart et des chef.fe.s de manœuvres).

L’équipe de quart doit être composé de suffisamment de personnes pour faire les manœuvres courantes. Chez nous c’est 6-7 personnes, chef de quart compris.

On travaille 4h et on se repose les 8h suivantes, avant de retravailler 4h et ainsi de suite…

Dans une journée :

  • Il y a le quart 8h-12h (qui se repose entre 12h et 20h et fait donc aussi le 20h-00h). C’est celui étant considéré comme le plus « calme » car respectant plus ou moins un rythme de journée ordinaire.
  • Le quart 12h-16h prend la suite (il fait aussi 00h-04h). Il fait donc le quart appelé « zéro à 4 », c’est le zérac.
  • Et vient le quart 16h-20h (qui fait aussi 04h-8h), c’est le 4-8.

Les cooks sont hors quart, c’est à dire que je fais des horaires de cuisine classique : je commence vers 8h-9h jusqu’à 19h-19h30 environ. Mon rythme ne change pas.

Salomé et Julie
Dessin depuis le gaillard d'avant
En mer
Depuis le gaillard d'avant

Quatre jours de mer donc, commencés au moteur puis toutes voiles dehors !
Tout le monde est super content de naviguer et de participer aux manœuvres, sauf une bénévole, Lydia, qui a un mal de mer de l’espace ! Qui se transformera en 2 semaines de mal de terre après l’arrivée…

Willy dans le filet du beaupré
Willy en train de pioncer dans le filet du mât de beaupré.

On a vu des globicéphales !

J’entends encore William (un de nos médias) nous crier « Globis à tribord ! » et se précipiter avec son objectif.

14 novembre 2020

La dernière journée fut assez agitée, avec plus de 2m de houle et la moitié de l’équipage, sujette au mal de mer, allongé dans le carré avant, sur les banquettes. Meryl se prend des paquets de mer (masse d’eau) parce que le sabord (chez nous, hublot carré) juste au dessus de lui est ouvert 😀

Nous nous amarrons au port de Sète dans la nuit du 14 au 15 novembre pour deux mois et demi, afin de finir les chantiers non terminés en Italie.

Sur Sète, des dépollutions sont organisées régulièrement, comme toujours et l’équipage prend un bon rythme.

Dès noël, un projet parallèle s’amorce pour le printemps 2021, autour de l’Étang de Berre et du voilier le St Amour, près de Marseille.
Une collaboration se dessine avec le propriétaire de l’Amadeus, amarré à Sète, pour un prêt du voilier sur une mission pour l’été 2021.

Le programme du Kraken est de se diriger vers Madère, puis les Canaries et les Açores par la suite, pour effectuer les missions prévues de dépollution en Atlantique, qui ont bien pris forme.

à suivre…