Mercredi 29 juin
Je prends la confiance en voyant une annonce sur le groupe Facebook Équipage français : « Recherche équipier.e pour octobre : convoyage catamaran 60 pieds Ajaccio-Martinique. »
Note : en général, on trouve nos embarquements par le bouche à oreille ou sur ce genre de groupe de mise en relation.
Je me dis « Pourquoi pas ? » et j’envoie un message au gars.
Dimanche 3 juillet
– mesdames et messieurs bonjouuuuur, embarquement pour… Grenoble ! Tout le monde est prêt ? Oui monsieur tout à fait, on fait Genève après, mais on va commencer calmement par la Pointe Rouge alors !
Les passagers rigolent.
J’ai une énergie folle aujourd’hui. Mon coéquipier est nettement plus calme, il est sorti hier soir. Il baille.
J’ai commencé mon taf le 9 juin, quasiment un mois que je suis matelote pour les navettes à passagers de la ville, sur la ligne Vieux-port/Pointe Rouge.
Comment se passe une journée ?
Quand on fait les matinées, le premier trajet est à vide. Il est 6h ou 6h30, on désamarre et soit on file directement à la Pointe Rouge, soit on fait un stop à la panne à gasoil pour faire le plein avant de partir.
Pour faire le plein, on vérifie les niveaux en se faufilant par le trou d’homme (ouverture dans le pont, permettant l’accès à la salle des machines) et j’en profite pour observer comment est fait le moteur.
Alors, admission d’air et échappement, où est-ce que c’est ce bordel ? Ça ressemble pas aux schémas du CMP !
Le Planier (le nom de ma navette) file vers le port de la Pointe Rouge, le vent est doux et nous rafraîchi. Le soleil qui se lève nous caresse le visage et Marseille se réveille tranquillement.
On amarre le bateau et 15 minutes avant le départ, on fait monter les passagers tranquillement en les comptant.
On désamarre le bateau et on file faire les mêmes gestes au Vieux-Port. Toutes les heures, pendant 7 à 10h/ jour.
Pendant les traversées, on répond aux questions des passagers, on veille à leur sécurité et on rassure les enfants (et on nettoie le vomi des fois) quand il y a un peu de mer… ou beaucoup.
Si on est d’après-midi : on récupère le bateau autour de 14h et on prend la suite de l’équipe du matin. On fait le plein d’eau douce sur un des derniers arrêts au Vieux-Port.
Le soir, on fini vers 23h par le nettoyage du bateau : on passe le jet et la raclette, on enlève les poubelles et on le laisse propre pour les collègues du matin.
Mardi 5 juillet
Je me lève à 4h30 nettement grognon. Les voisins du dessus se sont encore bastonné hier soir, j’ai appelé les flics pour la deuxième nuit consécutive.
Métro relou, je rate celui de 5h27. J’arrive 1 minute en retard au taf, ce qui fini de m’énerver.
Le capitaine nous fait prendre la barre et faire les manœuvres d’accostage et d’appareillage dans les deux ports. J’ai clairement des progrès à faire pour apprivoiser ces deux moteurs.
Je retrouve le sourire en passerelle.
La matinée est calme et douce, le valideur est en panne (à Marseille, les abonnés des transports en commun peuvent prendre les navettes et valident donc leurs abonnements à l’entrée) les passagers sont contents, nous aussi.
On fini nos 8h de boulot autour de 14h et je rentre faire une sieste.
La sieste, il parait qu’on s’y fait. Moi j’ai un peu de mal, j’aime pas trop ça.
Je file à la poste chercher mon livret maritime (c’est comme un passeport de marin, avec tous nos titres notés dedans), hyper contente de l’avoir reçu.
Mercredi 6 juillet
Ais-je choisi ce nouveau métier pour fuir le monde dans lequel je ne me retrouve pas ?
Je lis un récit-reportage (titre et auteure en fin d’article) dans un sous marin militaire et découvre la curieuse vie des sous-mariniers, exilés volontaires du monde, des liens avec leurs proches, de l’actualité, tout entiers tournés vers leur mission.
Le récit est prenant, leur univers est encore plus autarcique que celui des marins.
Vendredi 8 juillet
Bénévolat aujourd’hui.
Travaux sur le Larguade de l’AJD : les deux Laurent et moi, on bricole du gelcoat sur les parties du bateau où la fibre se voit. Le voilier ressemble à un dalmatien !
Il faudra ensuite poncer et passer une fine couche uniforme sur l’ensemble.
Vendredi 15 juillet
Lendemain de fête nationale, Marseille est dégueulasse. Encore plus que d’habitude.
Il est 6h10, je bosse en matinée cette semaine.
Le Planier quitte sa gâche du quai Marcel Pagnol pour filer à la Pointe Rouge pour le premier trajet à 7h. Mon équipier est un peu maussade, comme tous les matins. Il est pas du matin.
Je passe la tête par la porte pour prendre le frais, l’air est doux, la mer est d’huile, tout en camaïeux pastels, bleutés et rosés.
C’est incroyable.
La semaine dernière on a bien manœuvré, je commence à bien comprendre comment fonctionnent les manœuvres à deux moteurs.
Chaque équipage est une petite entité de trois : un capi et deux matelots. Chaque entité à son énergie propre et j’aime bien croiser certains de mes collègues lors de la relève. L’équipage de Christian par exemple, c’est l’équipage du sourire, ils rayonnent tous les trois.
Et j’ai toujours plaisir à retrouver les deux garçons des Goudes, avec leurs blagues de merde, le temps de courtes pauses ensemble dans la journée.
19h37 : après la sieste de l’aprèm.
Bien évidemment, je me suis endormie pour une sieste d’environ 1h30, avec réveil.
Et bien évidemment, 3h après, je suis en panique en ouvrant les yeux, pensant qu’on est le lendemain matin, que le jour est déjà levé et que je suis donc GRAVE à la bourre pour embarquer à 6h30.
Mon réveil a sûrement dû sonner vers 17h, mais j’ai rien entendu, pas souvenir…
J’aime vraiment pas les siestes.
La navigation de nuit a commencé pour nous depuis début juillet. On fait des horaires plus étendus qu’en juin et les deux derniers trajets se font dans le noir.
Il y a VRAIMENT une différence entre la théorie des petits ronds de couleur sur mes fiches du CMP (qui figurent les feux de nuit) et les plaisanciers marseillais, qui oublient de les mettre, qui restent en feux de mouillage en rentrant au port, coupent la route à l’anglaise en entrant et sortant du port, y compris de nuit !
Dimanche 17 juillet
Les îles du Frioul sont roses dans le soleil matinal, les cardinales cardinalent tranquillement sur une mer bleu ciel iridescente.
La grande roue du Prado étincelle et les collines derrière sont violettes.
Épissures ce matin encore, celles d’hier étaient trop épaisses et trop raides pour notre modeste navette.
Mon équipier dort un coup, il a été malade hier aprèm.
Samedi 23 juillet
La pote Salomé est là quelques jours.
Entre sa visite de Marseille et mon travail, on trouve un compromis et elle vient faire un aller-retour avec moi sur la navette. Je suis d’après-midi cette semaine et on fait le dernier trajet du soir, avec veille de nuit.
On papote en passerelle avec Laurent mon capitaine, on parle du Kraken, de l’asso, des bateaux en général. Une chouette fin de journée.
Un peu plus tard, on est en train de prendre un verre tranquillement quand je reçois la réponse de Pierre, le capitaine qui cherchait un.e équipier.e pour la transatlantique Ajaccio-Martinique… et c’est un oui.
Je saute de joie, je suis hyper contente et on re-parle bateaux Salomé et moi une bonne partie du séjour.
Weekend du 6 et 7 août
Weekend à Sète. Je rejoins un bout de l’équipe du Kraken. Surprise pour Meryl, à leur initiative. Lui qui ne chôme pas depuis 2 ans qu’il est dans l’asso, un petit weekend chill avec les copains ne sera pas du luxe.
Ça fait bien plaisir de voir les copains de l’asso.
Lundi 1er août
Je fais des progrès sur les manœuvres de port, deux belles réussites aujourd’hui, mais je manque d’assurance. Mon but c’est que je n’entende plus mon capi faire des corrections.
J’en suis loin : un peu trop de vitesse ou trop d’inertie, pas assez de prise d’angle à l’approche du ponton, etc.
L’idée de la transat et cette échéance qui approche (on partirait le 1er octobre) m’ont fait reprendre le dessin d’observation, comme les quelques uns de cet article. Je pense bien en profiter pour faire un carnet de voyage.
Je gribouille chez moi, je teste quelques trucs, je recrée un petit avatar rapide à dessiner et à mettre en couleur.
Jeudi 4 août
D’aprèm cette semaine. On fini un peu après 23h.
J’essaie de pas bronzer en forme d’uniforme mais les moments où je me motive pour aller prendre le soleil sur une plage sont rares : la fatigue commence à s’accumuler et je dors mal depuis trop longtemps.
Y’a un passager sur le bateau qui me matait quand je passais… Et qui matait les gamines d’à côté, des minottes de 8-10 ans !!
Ça a rendu fou mon collègue qu’on allait déposer à la Pointe Rouge pour sa prise de service, qui a préféré aller prendre le frais à l’arrière plutôt que de s’énerver. J’ai pas vu faire le gars, je l’épinglerai la prochaine fois !
Dimanche 21 août
J’ai embauché début juin chez Icard Maritime parce qu’il leur manquait un matelot pour un remplacement et Elvira, la matelote habituellement sur le Planier est rentrée de sa mission chez SOS Méditerranée.
Je lui ai donc rendu son poste et ai quitté mon capi et mon équipier.
Je suis passée sur la ligne du Frioul depuis trois jours, jusqu’à fin août.
Je change d’équipage tous les jours : pas mes mêmes capitaines, ni chefs mécaniciens, ni équipier.e.
Aujourd’hui, femmes en passerelle gracieusement invitées par le capi, remarques orientées et discussion grasses…
Great. L’avantage de changer d’équipe tous les jours, c’est que ce sera différent demain.
Mardi 23 août
Levée de bon matin, près de la préfecture, je déjeune dans un salon inconnu, plein de céramiques.
Lait d’avoine avec un fond de café.
Il me reste une semaine pile à bosser sur les lignes du Frioul, après, c’est les vacances tout septembre !
Je réfléchis à l’automne qui s’annonce : la transatlantique, la semaine de voile chez Artimuse vers le 10 septembre.
Ma famille m’a offert un bon cadeau pour aller faire de la voile en Bretagne dans cette école, mais ils font la même saison que moi en plus court.
On a donc trouvé un compromis en septembre et je participe au convoyage du bateau de Morlaix à Port-Launay, ou le voilier participe à Splash un festival art et transports doux. Hâte de naviguer en Bretagne, de retrouver les marées… et la navigation à la voile !
Je me suis motivée à faire un carnet de voyage pour la transatlantique et cette semaine en Bretagne sera un entraînement parfait pour moi, on va longer la côte et passer près d’Ouessant, je suis sûre que les paysages sont magnifiques !
Mercredi 7 septembre
Mon contrat de travail finissait le 31 août, amputé de 3 jours parce que j’étais en arrêt : la coupée lestée en béton qui nous sert à faire descendre les passagers m’est passée sur le pied, après une manipulation un peu brusque d’un collègue.
Aujourd’hui, solde de tout compte dans les bureaux d’Icard, débriefing de mes deux mois de travail avec les RH, perspectives d’avenir chez eux.
Et ainsi se termine l’été sur Marseille et mon premier contrat de matelot ♥
M’ont accompagnée ces derniers mois :